Dictionnaire MGF

Sophie Béssis, édition pour NPWJ. (2004) - Première Partie

LES MGF DANS LE MONDE

Données générales
 
Selon les statistiques les plus sûres, provenant en particulier des organisations internationales spécialisées, entre 115 et 130 millions de femmes dans le monde auraient subi une mutilation génitale. Toute donnée plus exacte que cette fourchette est impossible à obtenir, dans la mesure où les mutilations génitales féminines (MGF) se pratiquent soit dans des pays où les statistiques sont approximatives, soit dans des Etats où elles sont interdites et sont donc effectuées plus ou moins clandestinement. L’infibulation, c’est-à-dire la forme la plus sévère de MGF (voir infra), touche quelque 15% des femmes ayant subi une mutilation génitale.
 
Dans deux régions du monde, l’Afrique sub-saharienne et la péninsule arabique, les MGF sont une pratique traditionnelle existant depuis des époques fort anciennes. Mais les déplacements contemporains de populations tendent à en faire un phénomène mondial, même si elles restent marginales dans les Etats occidentaux où elles sont pratiquées dans certaines communautés immigrées depuis quelques décennies. On peut, de nos jours, identifier cinq types de régions où les MGF sont pratiquées.

  • En Afrique, cette pratique concerne essentiellement les populations habitant les bassins du Niger et du Nil. Les MGF sont inconnues au Maghreb, ainsi qu’en Afrique centrale et australe. De l’Egypte à l’Ouganda, du Tchad au Sénégal, elles sont en revanche pratiquées massivement, largement ou seulement par quelques ethnies minoritaires dans 28 pays africains. Ce nombre ne comprend pas les Etats où sont installées des communautés originaires de pays où les MGF sont pratiquées, comme l’Afrique du Sud ou le Gabon.
  • La péninsule arabique : la quasi-totalité des Etats de cette région sont touchés par le phénomène, soit de façon massive comme le Yémen, soit plus sporadiquement comme les Emirats ou l’Arabie Saoudite. De façon très sporadique, les MGF sont également pratiquées en Syrie et en Jordanie.
  • Les pays occidentaux : Suivant les flux migratoires, les MGF ont également émigré, depuis une trentaine d’années, vers les pays occidentaux d’accueil des populations africaines. Tous les Etats d’Europe occidentale, de même que les Etats-Unis et le Canada en Amérique du Nord, sont désormais concernés par la pratique des MGF. Tous pays d’immigration confondus, les MGF concernent en Occident une population globale de plus d’un million de personnes.
  • Dans le reste du monde, les MGF sont pratiquées par quelques communautés marginales en Asie, en Océanie et en Amazonie. Aux Philippines, en Malaisie, en Indonésie, elles auraient été introduites par les contacts guerriers ou marchands avec la péninsule arabique. Au Brésil, certaines communautés africaines déportées par la traite esclavagiste auraient maintenu la coutume des MGF jusqu’au XXe siècle.

 
Histoire et évolution des MGF
Les MGF ont une histoire très ancienne, puisqu’on fait remonter leur origine africaine à l’Egypte pharaonique. De nombreux mythes africains en font une condition essentielle du marquage sexuel, le prépuce du pénis masculin étant censé représenter l’élément féminin de l’homme, tandis que le clitoris serait l’élément masculin de la femme. La distinction des sexes exigerait donc la double ablation du prépuce masculin et féminin. Dans de nombreuses traditions, le clitoris serait également l’organe du plaisir stérile, donc illégitime et honteux pour des cultures dans lesquelles la procréation est survalorisée. En revanche aucun mythe n’apporte une justification de type cosmogonique à l’infibulation. En effet, si les mythes n’en parlent pas toujours, les discours traditionnels font, pour leur part, souvent référence à la nécessité pour les hommes de domestiquer le plaisir féminin, l’infibulation étant l’expression la plus brutale de cette volonté.
Il est en tous cas certain qu’aucune des grandes religions monothéistes ne prescrit les MGF. S’agissant de l’islam, il n’en est fait nulle mention dans le Coran, même si nombre de défenseurs de cette pratique tendent de la faire légitimer par la religion. C’est ainsi que le clergé conservateur iranien a pris position en faveur de l’excision et que, même si les plus hautes autorités sunnites ont rappelé qu’elle n’était pas prescrite par l’islam, de nombreux imams la recommandent en instrumentalisant la religion. Il s’agit donc, partout où elle existe, d’une simple coutume, mais profondément ancrée dans les mentalités.
Dans les pays occidentaux, les MGF ont aussi une histoire : au XIXe siècle, certains médecins européens ont préconisé la pratique de l’ablation du clitoris pour « soigner l’érotomanie » féminine et pour lutter contre la masturbation. Dans ce cas aussi, l’habillage médical tentait de légitimer l’obsession de la domestication du plaisir féminin.
 
Aujourd’hui, on peut constater que la baisse de la pratique des MGF ne suit pas forcément l’évolution socio-économique d’une population : elles sont encore massivement pratiquées en Egypte, y compris parmi les classes moyennes, tandis qu’elles régressent plus rapidement au Burkina Faso, du fait d’une volonté politique affirmée des autorités de les faire disparaître. En revanche, on peut constater que l’infériorité juridique et socio-économique des femmes constitue un terrain fertile à la permanence des MGF.
Il convient cependant de rappeler que l’Afrique subsaharienne, continent d’élection des MGF, est également la région du monde où les indicateurs sociaux, éducatifs et sanitaires sont les plus bas. Et les femmes, qui fournissent 60 à 80% de la production vivrière de la région et qui ont l’indice de fécondité le plus élevé de la planète, sont loin d’avoir gagné la bataille de l’égalité. A de très rares exceptions près, les Etats africains ont inscrit dans la loi l’infériorité des femmes en autorisant la polygamie, en instituant de fortes inégalités entre les sexes en matière d’héritage et d’accession à la propriété. Dans la totalité des Etats du continent et malgré les progrès réalisés dans de nombreux pays en un demi-siècle, les taux d’alphabétisation des femmes sont inférieurs à ceux des hommes. En 2000, 51% des femmes d’Afrique sub-saharienne étaient analphabètes. Dans les pays où elles sont pratiquées, les MGF contribuent à fragiliser la situation des femmes, dans la mesure où elles représentent un grave risque sanitaire. On peut relever que les pays où les MGF sont massivement pratiquées sont aussi ceux où les taux de mortalité maternelle sont les plus élevés du monde.
 
Types de MGF et conséquences sanitaires
 
Les différents types de MGF
Quatre types de MGF ont été identifiés chez les différents peuples qui les pratiquent.

  • Type 1 couramment appelé clitoridectomie : ablation du prépuce avec ou sans l’ablation de tout ou partie du clitoris. Dans plusieurs pays musulmans d’Afrique du Nord-Est et de la péninsule arabique, l’ablation du prépuce du clitoris est appelée sunna.
  • Type 2 : c’est l’excision proprement dite, bien que le terme générique d’excision soit souvent employé pour toutes les formes de MGF. Elle consiste en l’ablation du clitoris accompagnée de l’ablation partielle ou totale des petites lèvres.
  • Type 3 couramment appelée infibulation[1] : ablation de tout ou partie des organes génitaux externes et couture de l’orifice vaginal.
  • Type 4 : tout autre forme de mutilation des organes génitaux féminins externes.

 
Conséquences sanitaires
Les MGF ont des conséquences graves au moment de l’opération et à plus long terme. L’opération elle-même cause, surtout dans le cas de l’infibulation, une douleur intense. Elle peut provoquer une hémorragie qui est une des causes les plus courantes de décès à la suite d’une mutilation. L’utilisation d’un même instrument, le plus souvent non stérilisé, pour plusieurs opérations peut également provoquer le tétanos ou une septicémie et engendre de plus en plus des risques de transmission du VIH.
Les MGF ont également des conséquences à long terme et provoquent des dommages irréversibles chez nombre de femmes: l’ulcération des parties génitales et la lésion des tissus adjacents, les kystes et les abcès sont courants, de même que les lésions de l’urètre se traduisant par une incontinence urinaire à vie ne pouvant être guérie que par une intervention chirurgicale. L’infibulation, cette forme très sévère de MGF, peut occasionner d’importantes cicatrices, des infections récurrentes de la vessie et des voies urinaires. Elle peut provoquer la stérilité. Elle accroît les risques de mortalité maternelle, dans la mesure où elle nécessite souvent une incision au moment de l’accouchement. Elle est également la cause de rapports sexuels douloureux et de dysfonctionnements sexuels.
Selon les nombreuses enquêtes effectuées sur la question, toutes les formes de MGF ont des conséquences sur le plaisir sexuel des femmes , mais elles n’abolissent pas forcément l’aptitude au plaisir et à l’orgasme.
 
Les grandes dates de la prise de conscience
 
-        Khartoum 10-15 février 1979 : première conférence internationale sur l’excision organisée par l’OMS avec la participation de 60 délégués des pays concernés et des organisations internationales. Les MGF concernaient, selon les données de l’époque, quelque 30 millions de femmes.
-        Manille, Philippines 1982 : le congrès mondial des femmes médecins décide que les femmes médecins apporteraient désormais leur concours à la lutte contre les MGF et à l’enseignement préventif dans les pays concernés.
-        1980 : après la publication de son livre (voir bibliographie) qui fait scandale en Afrique francophone, la Sénégalaise Awa Thiam fonde une Commission pour l’abolition des mutilations sexuelles.
-        Juillet 1992 : la première conférence d’études européennes sur les MGF adopte la Déclaration de Londres selon laquelle « toute forme de mutilation et de lésion génitale des filles est une violation de son droit humain fondamental et doit être abolie ».
-        1994 : la sous-commission des droits de l’homme des Nations unies adopte un Plan d’action pour l’élimination des pratiques traditionnelles néfastes.
-        Septembre 1994 : conférence internationale du Caire sur la population et le développement. Les articles 4.22 et 7.35 de la déclaration finale dénoncent les MGF comme contraires aus droits fondamentaux de la personne et demandent qu’elles soient abolies dans sociétés qui les pratiquent. Le programme d’action adopté par la conférence incite les gouvernements et les communautés à s’engager à « prendre d’urgence des mesures pour mettre un terme à la pratique des mutilations sexuelles féminines et pour protéger les femmes et les filles contre toutes les pratiques similaires dangereuses et injustifiées ».
-        Avril 1995 : les ministres africains de la santé réunis au Caire plaident pour l’interdiction des MGF.
-        Septembre 1995 : la déclaration finale de la quatrième conférence internationale de Beijing sur les femmes reprend la condamnation de la conférence du Caire et prône l’élimination des MGF. Le programme d’action adopté par la conférence demande aux gouvernements, aux organisations internationales et aux Ong d’élaborer des politiques et des programmes en vue d’éliminer toutes les formes de discriminations à l’égard des filles, y compris les MGF. - 1997 : déclaration commune de l’OMS, de l’UNICEF et du FNUAP sur les stratégies à mettre en oeuvre pour éliminer les MGF. Juillet 1998 : réunion à Banjul, en Gambie, d’un symposium des leaders religieux qui prend position contre les MGF, en déclarant que « les mutilations génitales féminines constituent des violences inhumaines qui ont existé bien avant le christianisme et l’islam ».
-        1999 : l’atelier régional sur la lutte contre les mutilations sexuelles féminines dans les pays membres de l’UEMOA (Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest) adopte la Déclaration de Ouagadougou condamnant la pratique.
-        Juin 2003 : la consultation d'experts afro-arabe du Caire sur les « Normes législatives pour la prévention des mutilations génitales féminines » adopte une déclaration réclamant l’abolition des MGF et formule des recommandations aux gouvernements sur les moyens d’y parvenir.
-        Juillet 2003 : les chefs d’Etat réunis à Maputo pour le sommet de l’Union africaine condamnent la pratique des MGF et s’engagent à travailler à leur abolition.
 
 
Principaux textes normatifs internationaux condamnant les MGF
 
1948 : la Déclaration universelle des Droits de l’Homme interdit la torture et les traitements inhumains et dégradants.
1966 : les deux pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels condamnent les discriminations fondées sur le sexe et reconnaissent le droit universel à jouir du meilleur état de santé possible.
1979 : l’article 2(f) de la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes (dite aussi Convention de Copenhague, lieu de sa signature, ou CEDAW, de son acronyme anglais) « oblige les Etats membres à adopter toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l’égard des femmes »2[2]. 1981 : adoption de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ( Charte de Banjul), dont l’article 18(3) déclare : « l’Etat éliminera toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et assurera la protection des droits des femmes et des enfants tels que stipulés dans les déclarations et conventions internationales ».
1984 : l’article 16 de la Convention internationale contre la torture, les peines et les traitements inhumains et dégradants « invite les gouvernements des Etats membres à adopter les mesures nécessaires pour prévenir et réprimer les actes de torture, les peines et les traitements inhumains et dégradants ».
1985 : le comité exécutif du HCR attribue aux Etats la liberté de reconnaître comme « groupe social » les femmes risquant de subir des MGF, en affirmant que les MGF peuvent être assimilées à une persécution politique.
1989 : l’article 19 de la Convention sur les droits de l’enfant stipule que « Les Etats membres adoptent des mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pr protéger l’enfant des formes de violence physique ou mentale, injures et abus… ». L’article 24/3 ajoute que « Les Etats membres adoptent des mesures effectives et appropriées en vue d’abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé de l’enfant ». Tous les Etats membres des Nations unies ont signé et ratifié cette convention, à l’exception de la Somalie –aucun Etat somalien n’étant pour l’heure représenté à l’Onu - et des Etats Unis. A l’exception de la Somalie, tous les Etats dans lesquels des MGF sont traditionnellement pratiquées sont donc signataires de cette Convention.
1990 : la Charte africaine des droits et du bien-être des enfants adoptée par l’OUA appelle, dans son article 21, les gouvernements « à prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer les pratiques néfastes affectant le bien-être, la dignité, la croissance et le développement normaux de l’enfant ». Ces pratiques sont spécifiées plus loin comme sexuelles.
1993 : l’article 2 de la résolution de l’Assemblée Générale des Nations unies « sur la violence contre les femmes » fait explicitement référence aux « mutilations génitales et autres pratiques traditionnelles préjudiciables à la femme ».
2001 : une résolution du Parlement européen sur les MGF « condamne avec fermeté les mutilations génitales féminines en tant que violation des droits humains fondamentaux ».
 
Bibliographie indicative
 
Annuaires et rapports
Banque mondiale : Rapport sur le développement dans le monde, annuel.
Pnud : Rapport mondial sur le développement humain, annuel.
Fnuap : Etat de la population mondiale, annuel.
Unicef : La situation mondiale des femmes et des enfants, annuel.
OMS : Les mutilations sexuelles féminines : aperçu du problème. Genève 1998.
L’Etat du monde, annuaire économique et géopolitique mondial, éditions La Découverte, Paris, annuel.
Institut de rercherches internationales et stratégiques, L’année stratégique, IRIS, Paris, annuel. Enquêtes démograhie santé : Soudan 1989-90, Centrafrique 1994-95, Erythrée 1995, Mali 1995-96 et 2001, Tanzanie 1996, Bénin 1996 et 2001, Tchad 1996-97, Yémen 1997, Togo 1998, Kenya 1998, Cameroun 1998, Niger 1998, Ghana 1998, Burkina Faso 1998-99, Côte d’Ivoire 1998-99, Nigéria 1999, Guinée 1999, Ethiopie 2000, Egypte 1995 et 2000, Mauritanie 2000-01, Ouganda 2000-01. ORC Macro, Calverton, Maryland, Etats-Unis.
DHS Analytical studies : Female genital cutting in Guinea, qualitative and quantitative research strategies, ORC Macro, Calverton, Maryland, Etats-Unis 2001.
Commission des Nations Unies sur les droits de l’homme, sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, 55e session, 11 juillet 2003, 7e rapport sur l’évolution de la situation concernant l’élimination des pratiques traditionnelles néfastes présenté par Mme Halima Embarek Warzazi.
 
Ouvrages et articles[3]
Jomo Kenyatta : Au pied du Mont Kenya, paris, Maspero, 1962.
Jacques Lantier : La cité magique, magie en Afrique noire, Paris Fayard 1972.
Nawal Saadawi : La face cachée d’Ève, Paris, Editions des femmes, 1982.
Awa Thiam : La parole aux négresses, Paris, Denoël-Gonthier 1979.
Fran Hosken : Le rapport Hosken, Paris Denoël, 1983.
N. Toubia, Female genital mutilation : a call for global action, 2e édition : New York, Rainbow 1995
Isabelle Gillette-Faye : Populations concernées par les mutilations génitales féminines en France. Actes de la journée technique d’information sur les MGF, GAMS, Paris, février 1996.
Dara Carr, Female genital cutting : Finding from the demographic and health surveys program, Calverton MD, Macro International Inc. 1997.
Waris Dirie : Fleur du désert, Paris 1998.
Isabelle Gillette-Faye : La polygamie et l’excision dans l’immigration africaine en France, analysées sous l’angle de la souffrance sociale des femmes. Presses universitaires du Septentrion, Lille 1998.
Thérèse Locoh : « Pratiques, opinions et attitudes en matière d’excision en Afrique », in revue Population n°6, 1998.
C. Obermeyer : Female genital surgeries : the known, the unknown, and the unknowable, in Medical Anthropology Quarterly 13(1), 1999.
Gerry Mackie, Female genital cutting : the beginning of the end, & The diffusion of female genital cutting : hypotheses and evidence, janvier 1999, St John’s College, Oxford, UK.
Ph. Dewitte (direction) : Immigration et intégration, l’état des savoirs. Paris, la Découverte, 1999.
O. El-Gibaly, B. Ibrahim & others : « The decline of female circumcision in Egypt, evidence ans interpretation », in Population Council, Policy research division, n° 132, new York 1999.
Pierrette Herzberger-Fofana : « Excision et émigration, la situation en Allemagne », Présence africaine n°160, 1999.
B. Shell-Duncan, Y. Hernlund :