Elections afghanes: une prime à l’impunité ?

Par Emma Bonino*, Libération, 19 août 2009, page 23


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Quand les Afghans se rendront aux urnes le 20 août pour la deuxième élection présidentielle depuis la chute des “Talibans”, ils examineront avec soin les candidats et pèseront les avantages d'un futur démocratique.
 
A la veille de cette échéance délicate, on assiste dans les pays engagés dans la reconstruction de l’Afghanistan à un débat centré principalement sur la question de la présence militaire. Le problème du rôle et des règles de recrutement des forces de l’OTAN est certes un argument important, qui nécessite un débat sérieux, mais il n’est pas le seul.
 
Même si, comme nous l'espérons tous, les contingents militaires présents parviendront à neutraliser les tentatives des "Talibans" pour empêcher le bon déroulement des élections, la communauté internationale n'aura pas aidé l'Afghanistan dans le processus d'édification de l'État de droit, si elle n’est pas capable de traiter adéquatement la question des criminels de guerre, qui, dans la phase post-électorale, pourraient acquérir des positions clés dans la nouvelle administration.
 
Depuis la fin du régime des Talibans en 2001, le Parlement afghan et les institutions de l'État ont été trop souvent influencés par la présence de personnalités au passé plus que douteux, dont bon nombre sont d’illustres chefs de guerre qui ont commis - et continuent à commettre - des atrocités de masse contre leur propre people. Or, ces derniers, après le vote, pourraient à nouveau assumer des postes de gouvernement aux niveaux national et provincial, sous le couvert de la légitimité d'un processus électoral tenu sous observation internationale.
 
Dans un pays déchiré par des années de guerre et de brutalité intérieures, il serait naïf de penser exclure de la fonction publique toute personne ayant eu ou conservant des liens avec les ex-combattants. Si aucun leader "taliban" n’est impliqué dans le processus politique, l'instabilité politique du pays s’accroîtra, alimentée par l'argent du trafic illicite de stupéfiants. La vraie question réside donc dans le processus de sélection des interlocuteurs, car impliquer les principaux responsables de la violence des crimes du passé reviendrait à renforcer l'impunité et à dire au peuple afghan que rien n’est destiné à changer dans leur pays. La communauté internationale doit s'engager concrètement dans la reconstruction du pays, pour offrir aux nouvelles générations la possibilité de former une classe dirigeante apte à répondre aux exigences du monde d'aujourd'hui.
 
Sur le front de la justice pénale, les bases pour le développement d'un système conforme aux normes internationales ont été facilitées par le travail conjoint de la Commission Afghane Indépendante des droits de l'homme (AIHRC), un organe institué par la Constitution du pays mais indépendant du gouvernement, et de No Peace Without Justice (NPWJ) - l'organisation internationale dont je suis la fondatrice - qui ont realisé, au cours des quatre dernières années, un programme de cartographie du conflit. A travers les témoignages de plus de 7000 personnes, y compris des victimes, des témoins et des informateurs clés interrogés dans les 34 provinces du pays, il a été possible de reconstituer les violations massives commises entre 1978 et 2001, les mouvements de troupes, et les types de conflit entre les différentes factions belligérantes. Ces documents non seulement seront utiles pour ceux qui étudient l'histoire de l'Afghanistan et les violations des droits humains commises dans ce pays au cours de ces années, mais surtout ils représentent aujourd'hui la base indispensable pour permettre l'identification des criminels de guerre.
 
Si, en effet, l'Europe et les autres Etats qui disent vouloir travailler pour la stabilité de la région, envisagent de mettre en oeuvre des mesures visant à faire sortir l'Afghanistan de la spirale de la violence, ils doivent cesser d'encourager l'impunité, en évitant autant que possible que les responsables n’assument des positions de pouvoir et en promouvant la réconciliation, notamment par la reconstruction et le développement économique du pays. Le rapport de la Commission indépendante fournira les outils nécessaires pour entamer le processus de construction d'un système juridique équitable, mais si l'immobilisme de l'Union européenne et des autres pays impliqués persiste après le vote, alors tout espoir d'un avenir démocratique pour les Afghans s’évanouira et la situation régionale se compliquera davantage.

* Emma Bonino est Vice-Présidente du Sénat Italien et fondatrice de No Peace Without Justice – www.npwj.org